Crédit photo : P. Forget/Sagaphoto

« Désamorcer la mort, relancer la vie »

Marcel Arnaud, professeur de neurochirurgie (1896-1977)

Secours santé : vers une évolution radicale de la réponse à l’urgence extra-hospitalière

par Bernard Laygues

Mat Napo  —  Unsplash

Le feu, voi­là l’ennemi… Un slo­gan fon­dé sur la pure réa­li­té vécue par tous les pom­piers de la pla­nète (fire­figh­ters, bom­be­ros, vigi­li del fuo­co, Feuer­wehr­leute, koche­har, etc.) et ancrée dans la nuit des temps. Nor­mal ! Seule­ment voi­là, ici ou là, ces com­bat­tants du moindre incen­die jusqu’à des feux gigan­tesques, puis sau­ve­teurs en bien des cir­cons­tances, les voi­ci, selon les pays, deve­nus aus­si des spé­cia­listes du secours tous azi­muts aux per­sonnes. Des secours élar­gis depuis peu chez nous aux soins de pre­mière inten­tion et sup­plan­tant le déjà ancien secou­risme opérationnel.

Qui sait que dès les années 1900 un cer­tain doc­teur Le Page avait, selon les connais­sances et les moyens de l’époque, pré­co­ni­sé l’instauration d’infirmiers dans les uni­tés de sapeurs-pom­piers ? Il les pen­sait indis­pen­sables au décours d’incendies, mal com­bat­tus à l’époque, et qui lais­saient sur le car­reau bles­sés et brû­lés. Bien sûr, pas ques­tion de les com­pa­rer aux infirmiers(ères) d’aujourd’hui. Pas même à nos secou­ristes de bon niveau. Mais il y avait là une inten­tion. Car, s’ils n’ont pas lais­sé dans l’Histoire un sou­ve­nir ras­su­rant d’efficacité, ils avaient au moins le mérite des attelles et des pan­se­ments. (A noter que le diplôme d’État d’infirmière ne date que de 1922.)

Depuis ces der­nières années, les infirmiers(ères) de sapeurs-pom­piers — des vrai(e)s, diplômé(e)s d’État bien sûr, puis formé(e)s pour s’attaquer à l’urgence sur tous les ter­rains —, agissent confor­mé­ment à notre légis­la­tion, qui sti­pule : « En l’ab­sence d’un méde­cin, l’in­fir­mier de sapeurs-pom­piers [ISP] est habi­li­té, après avoir recon­nu une situa­tion comme rele­vant de l’ur­gence ou de la détresse psy­cho­lo­gique, à mettre en œuvre des Pro­to­coles infir­miers de soins d’ur­gence (Pisu), préa­la­ble­ment écrits, datés et signés par le méde­cin res­pon­sable […] ».

« Continuité des soins » : c’est du passé ?

Il faut le savoir et le faire savoir à une mul­ti­tude de citoyens qui ne mesurent les oublis et les hési­ta­tions face à une urgence d’ordre médi­cal que lorsque celle-ci éclate chez eux, ou à leur porte, ou sur la route, etc. C’est que les visites à domi­cile de méde­cins, sur­tout dans les grandes villes, la dis­pa­ri­tion de l’obligation des gardes de méde­cins de ville la nuit et le week-end, l’apparition des déserts médi­caux ont pro­vo­qué un effon­dre­ment de la sacro-sainte « conti­nui­té des soins ». En France, qui assure les grandes urgences pré­hos­pi­ta­lières ? Réponse : les Struc­tures mobiles d’urgence et de réani­ma­tion (Smur) et les Sapeurs-Pom­piers (SP). La régu­la­tion de tous les acteurs enga­gés est dévo­lue, elle, aux Samu (Ser­vices d’aide médi­cale urgente — un par dépar­te­ment) […]. C’est grâce à la loi n° 96–369 du 3 mai 1996, dite « de dépar­te­men­ta­li­sa­tion », que la mise en place d’infirmiers de sapeurs-pom­piers (ISP) per­met d’avoir un niveau inter­mé­diaire (para­mé­di­cal) entre les SP et le Smur (médi­cal). 

Et voi­ci que la loi du 25 novembre 2021, por­tée par le dépu­té Fabien Matras, donne éga­le­ment une place dans le soin aux pom­piers non infir­miers, avec un sta­tut nou­veau : technicien(ne)s de soins d’urgence, passé(e)s par les centres de for­ma­tion des sapeurs pom­piers sous un contrôle pré­vu des Samu […]. Les­quels ici ou là semblent traî­ner les pieds pour leur accep­ta­tion. Ah ! c’est que le corps médi­cal fran­çais ne semble ouvert aujourd’hui qu’à demi (un pro­grès déjà !) face aux solu­tions pal­liant la baisse dras­tique du nombre de médecins.

En fait, sur « le ter­rain », c’est en 2015 que tout a vrai­ment com­men­cé pour les infir­miers de sapeurs-pom­piers à haut niveau d’implication. Grâce en grande par­tie à une sur­pre­nante recom­man­da­tion de six socié­tés savantes (Socié­té fran­çaise de méde­cine d’urgence, Socié­té euro­péenne de méde­cine de sapeurs-pom­piers, Socié­té fran­çaise d’anesthésie et de réani­ma­tion, Socié­té de réani­ma­tion de langue fran­çaise, Conseil fran­çais de réani­ma­tion car­dio-pul­mo­naire, Club des anes­thé­sistes-réani­ma­teurs et urgen­tistes mili­taires). Elle pré­cise : « Un infir­mier diplô­mé d’État (IDE) peut, dans l’exercice de sa pro­fes­sion, être confron­té à une situa­tion inopi­née de détresse médi­cale. Hors pré­sence médi­cale, il peut être ame­né à effec­tuer des gestes spé­ci­fiques afin de pré­ser­ver la vie et/ou une fonc­tion. En France, il est pos­sible d’être mis en contact par télé­phone dans les plus brefs délais avec un méde­cin urgen­tiste 24h/24 par le biais de la régu­la­tion médi­cale du Samu-Centre 15). Ce docu­ment consti­tue la décli­nai­son de la cir­cu­laire inter­mi­nis­té­rielle  DGOS /R2/DGSCGC/2015/190 du 5 juin 2015, dans son para­graphe 1.2. »

Alors, tout natu­rel­le­ment, voi­ci les infirmiers(ères) de sapeurs-pom­piers appar­te­nant au SSSM (Ser­vice de san­té et de secours médi­cal) confor­tés en inter­ven­tion par la cir­cu­laire de notre Sécu­ri­té civile (minis­tère de l’Intérieur) DSC/10/DC/00356, art. 2.2.4.B. Mais aus­si par la note d’information n° DGOS/R2/2016/244 (22 juillet 2016) du minis­tère des Affaires sociales et de la San­té. Pour la Sécu­ri­té civile, dont dépendent natio­na­le­ment les pom­piers, c’est clair : « L’infirmier sera auto­ri­sé par le méde­cin chef à mettre en œuvre des gestes tech­niques défi­nis par pro­to­coles ». Anté­rieu­re­ment, le réfé­ren­tiel du 25 juin 2008, orga­ni­sant le secours aux per­sonnes et l’aide médi­cale urgente, pré­ci­sait déjà que dans les mis­sions des ISP « les pro­to­coles sont pré­vus par le Code de la san­té publique et peuvent concer­ner les soins d’urgence (art. R4311-14) ou la prise en charge de la dou­leur (art. R4311‑8) ».

15 millions d’entrées par an aux Urgences hospitalières 

Ah ! la dou­leur… Ces der­niers mots clés du para­graphe pré­cé­dent, très offi­ciels, ont réson­né dans les pre­miers textes de ce blog. La dou­leur enfin prise en compte et com­bat­tue par les pre­miers inter­ve­nants auprès d’une per­sonne acci­den­tée ou atteinte d’un malaise aigu, sans obli­ga­toi­re­ment attendre l’intervention d’un méde­cin — plus encore aujourd’hui qu’hier, du fait de l’effondrement de la démo­gra­phie médi­cale. (D’ailleurs, n’arrive-t-il pas qu’ici ou là un Samu fasse « déca­ler » ses Smur avec à bord un infir­mier anes­thé­siste en lieu et place d’un méde­cin ?) Au tout pre­mier rang de ces inter­ve­nants « de l’avant », les pom­piers, avec leurs infir­miers. Une évi­dence qu’il serait fau­tif de ne pas rappeler. 

Les chiffres sont là, qui éta­blissent un fait incon­tes­table : en France, neuf fois sur dix, un(e) blessé(e), un(e) brûlé(e), une per­sonne prise de malaise aigu, etc., sont secouru(e)s par une équipe de sapeurs-pom­piers jaillis­sant d’un VSAV (véhi­cule de secours et d’assistance aux vic­times). Une « ambu­lance », comme tout le monde dit. (Notons qu’il arrive que les ambu­lances pri­vées soient aus­si sol­li­ci­tées, même si les grandes urgences n’entrent pas d’emblée dans leur « genre de beauté ».)

De plus en plus sou­vent, côté pom­piers, un(e) infirmier(ère) spécialisé(e) se trouve au nombre des équipiers(ères) [trois ou quatre] — plus rare­ment, un(e) méde­cin. Alors, le Ser­vice de san­té et de secours médi­cal des sapeurs-pom­piers joue plei­ne­ment son rôle. Sou­vent avec un véhi­cule léger dédié. Cela en attente de Smur (struc­ture [hos­pi­ta­lière] mobile d’urgence et de réani­ma­tion), sauf si un(e) méde­cin de sapeurs-pom­piers peut agir seul. Ain­si, annuel­le­ment, ce sont plus de 4 mil­lions de bles­sés ou de malades éva­cués, en fonc­tion de la gra­vi­té, soit (le plus sou­vent) par un VSAV des pom­piers, soit par un Smur, pour fran­chir au sein d’un hôpi­tal les portes du ser­vice des urgences. Sur les quelque 15 mil­lions d’entrées aux Urgences hos­pi­ta­lières pour mille et un motifs, dont beau­coup devraient conduire chez un méde­cin géné­ra­liste libé­ral. Oui, mais les­dits méde­cins font défaut. Quant aux visites à domi­cile, elles fondent comme neige au soleil. Les gardes éga­le­ment (fini, l’obligation !)…

Piètre conso­la­tion, mais conso­la­tion quand même : récem­ment, sous la plume d’Alain Thi­rion, direc­teur géné­ral de la Sécu­ri­té civile et de la Ges­tion des crises (minis­tère de l’Intérieur), on a pu lire (trans­mis­sion au Jour­nal offi­ciel) : « 2022 est une année mar­quante pour la Sécu­ri­té civile. Elle est le témoin de l’aboutissement des pre­miers tra­vaux de la démarche natio­nale sur le secours et soins d’urgence aux per­sonnes (SSUAP), au tra­vers notam­ment d’une nou­velle loi de sécu­ri­té civile dite “loi Matras”, qui com­porte de nom­breuses avan­cées pour les ser­vices d’incendie et de secours (SIS) : cla­ri­fi­ca­tion de leurs mis­sions, réa­li­sa­tion d’actes de soins d’urgence et d’actes de télé­mé­de­cine. […] 2023 sera l’année de la conso­li­da­tion […] avec l’objectif constant de tou­jours garan­tir aux citoyens une réponse de proxi­mi­té et de qua­li­té aux situa­tions d’urgence préhospitalières. »

Heu­reu­se­ment, en région pari­sienne et dans les capi­tales régio­nales il y a SOS Méde­cins. Mais pas au fond de la Creuse. Et pas ques­tion de les appe­ler pour une « urgence vitale » ; plu­tôt pour une « urgence res­sen­tie ». Si l’on a mal au ventre depuis des heures avec une dou­leur encore sup­por­table, ou bien si l’on tousse comme un beau diable, on appelle. Si l’on vient de se cas­ser une jambe, où que ce soit, un appel au 18 (voire au 15) est à l’évidence la bonne solu­tion. Direc­tion un éta­blis­se­ment hospitalier !

Voi­là, j’aurais tout dit sur le sujet si l’envie ne me pre­nait de pro­po­ser aux lec­teurs éven­tuels un « coup d’œil » sur les secours d’urgence ailleurs que dans notre douce France, que l’on quitte par­fois. Donc ren­dez-vous avec les para­me­dics dans le pro­chain texte.

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