Le feu, voilà l’ennemi… Un slogan fondé sur la pure réalité vécue par tous les pompiers de la planète (firefighters, bomberos, vigili del fuoco, Feuerwehrleute, kochehar, etc.) et ancrée dans la nuit des temps. Normal ! Seulement voilà, ici ou là, ces combattants du moindre incendie jusqu’à des feux gigantesques, puis sauveteurs en bien des circonstances, les voici, selon les pays, devenus aussi des spécialistes du secours tous azimuts aux personnes. Des secours élargis depuis peu chez nous aux soins de première intention et supplantant le déjà ancien secourisme opérationnel.
Qui sait que dès les années 1900 un certain docteur Le Page avait, selon les connaissances et les moyens de l’époque, préconisé l’instauration d’infirmiers dans les unités de sapeurs-pompiers ? Il les pensait indispensables au décours d’incendies, mal combattus à l’époque, et qui laissaient sur le carreau blessés et brûlés. Bien sûr, pas question de les comparer aux infirmiers(ères) d’aujourd’hui. Pas même à nos secouristes de bon niveau. Mais il y avait là une intention. Car, s’ils n’ont pas laissé dans l’Histoire un souvenir rassurant d’efficacité, ils avaient au moins le mérite des attelles et des pansements. (A noter que le diplôme d’État d’infirmière ne date que de 1922.)
Depuis ces dernières années, les infirmiers(ères) de sapeurs-pompiers — des vrai(e)s, diplômé(e)s d’État bien sûr, puis formé(e)s pour s’attaquer à l’urgence sur tous les terrains —, agissent conformément à notre législation, qui stipule : « En l’absence d’un médecin, l’infirmier de sapeurs-pompiers [ISP] est habilité, après avoir reconnu une situation comme relevant de l’urgence ou de la détresse psychologique, à mettre en œuvre des Protocoles infirmiers de soins d’urgence (Pisu), préalablement écrits, datés et signés par le médecin responsable […] ».
« Continuité des soins » : c’est du passé ?
Il faut le savoir et le faire savoir à une multitude de citoyens qui ne mesurent les oublis et les hésitations face à une urgence d’ordre médical que lorsque celle-ci éclate chez eux, ou à leur porte, ou sur la route, etc. C’est que les visites à domicile de médecins, surtout dans les grandes villes, la disparition de l’obligation des gardes de médecins de ville la nuit et le week-end, l’apparition des déserts médicaux ont provoqué un effondrement de la sacro-sainte « continuité des soins ». En France, qui assure les grandes urgences préhospitalières ? Réponse : les Structures mobiles d’urgence et de réanimation (Smur) et les Sapeurs-Pompiers (SP). La régulation de tous les acteurs engagés est dévolue, elle, aux Samu (Services d’aide médicale urgente — un par département) […]. C’est grâce à la loi n° 96–369 du 3 mai 1996, dite « de départementalisation », que la mise en place d’infirmiers de sapeurs-pompiers (ISP) permet d’avoir un niveau intermédiaire (paramédical) entre les SP et le Smur (médical).
Et voici que la loi du 25 novembre 2021, portée par le député Fabien Matras, donne également une place dans le soin aux pompiers non infirmiers, avec un statut nouveau : technicien(ne)s de soins d’urgence, passé(e)s par les centres de formation des sapeurs pompiers sous un contrôle prévu des Samu […]. Lesquels ici ou là semblent traîner les pieds pour leur acceptation. Ah ! c’est que le corps médical français ne semble ouvert aujourd’hui qu’à demi (un progrès déjà !) face aux solutions palliant la baisse drastique du nombre de médecins.
En fait, sur « le terrain », c’est en 2015 que tout a vraiment commencé pour les infirmiers de sapeurs-pompiers à haut niveau d’implication. Grâce en grande partie à une surprenante recommandation de six sociétés savantes (Société française de médecine d’urgence, Société européenne de médecine de sapeurs-pompiers, Société française d’anesthésie et de réanimation, Société de réanimation de langue française, Conseil français de réanimation cardio-pulmonaire, Club des anesthésistes-réanimateurs et urgentistes militaires). Elle précise : « Un infirmier diplômé d’État (IDE) peut, dans l’exercice de sa profession, être confronté à une situation inopinée de détresse médicale. Hors présence médicale, il peut être amené à effectuer des gestes spécifiques afin de préserver la vie et/ou une fonction. En France, il est possible d’être mis en contact par téléphone dans les plus brefs délais avec un médecin urgentiste 24h/24 par le biais de la régulation médicale du Samu-Centre 15). Ce document constitue la déclinaison de la circulaire interministérielle n° DGOS /R2/DGSCGC/2015/190 du 5 juin 2015, dans son paragraphe 1.2. »
Alors, tout naturellement, voici les infirmiers(ères) de sapeurs-pompiers appartenant au SSSM (Service de santé et de secours médical) confortés en intervention par la circulaire de notre Sécurité civile (ministère de l’Intérieur) DSC/10/DC/00356, art. 2.2.4.B. Mais aussi par la note d’information n° DGOS/R2/2016/244 (22 juillet 2016) du ministère des Affaires sociales et de la Santé. Pour la Sécurité civile, dont dépendent nationalement les pompiers, c’est clair : « L’infirmier sera autorisé par le médecin chef à mettre en œuvre des gestes techniques définis par protocoles ». Antérieurement, le référentiel du 25 juin 2008, organisant le secours aux personnes et l’aide médicale urgente, précisait déjà que dans les missions des ISP « les protocoles sont prévus par le Code de la santé publique et peuvent concerner les soins d’urgence (art. R4311-14) ou la prise en charge de la douleur (art. R4311‑8) ».
15 millions d’entrées par an aux Urgences hospitalières
Ah ! la douleur… Ces derniers mots clés du paragraphe précédent, très officiels, ont résonné dans les premiers textes de ce blog. La douleur enfin prise en compte et combattue par les premiers intervenants auprès d’une personne accidentée ou atteinte d’un malaise aigu, sans obligatoirement attendre l’intervention d’un médecin — plus encore aujourd’hui qu’hier, du fait de l’effondrement de la démographie médicale. (D’ailleurs, n’arrive-t-il pas qu’ici ou là un Samu fasse « décaler » ses Smur avec à bord un infirmier anesthésiste en lieu et place d’un médecin ?) Au tout premier rang de ces intervenants « de l’avant », les pompiers, avec leurs infirmiers. Une évidence qu’il serait fautif de ne pas rappeler.
Les chiffres sont là, qui établissent un fait incontestable : en France, neuf fois sur dix, un(e) blessé(e), un(e) brûlé(e), une personne prise de malaise aigu, etc., sont secouru(e)s par une équipe de sapeurs-pompiers jaillissant d’un VSAV (véhicule de secours et d’assistance aux victimes). Une « ambulance », comme tout le monde dit. (Notons qu’il arrive que les ambulances privées soient aussi sollicitées, même si les grandes urgences n’entrent pas d’emblée dans leur « genre de beauté ».)
De plus en plus souvent, côté pompiers, un(e) infirmier(ère) spécialisé(e) se trouve au nombre des équipiers(ères) [trois ou quatre] — plus rarement, un(e) médecin. Alors, le Service de santé et de secours médical des sapeurs-pompiers joue pleinement son rôle. Souvent avec un véhicule léger dédié. Cela en attente de Smur (structure [hospitalière] mobile d’urgence et de réanimation), sauf si un(e) médecin de sapeurs-pompiers peut agir seul. Ainsi, annuellement, ce sont plus de 4 millions de blessés ou de malades évacués, en fonction de la gravité, soit (le plus souvent) par un VSAV des pompiers, soit par un Smur, pour franchir au sein d’un hôpital les portes du service des urgences. Sur les quelque 15 millions d’entrées aux Urgences hospitalières pour mille et un motifs, dont beaucoup devraient conduire chez un médecin généraliste libéral. Oui, mais lesdits médecins font défaut. Quant aux visites à domicile, elles fondent comme neige au soleil. Les gardes également (fini, l’obligation !)…
Piètre consolation, mais consolation quand même : récemment, sous la plume d’Alain Thirion, directeur général de la Sécurité civile et de la Gestion des crises (ministère de l’Intérieur), on a pu lire (transmission au Journal officiel) : « 2022 est une année marquante pour la Sécurité civile. Elle est le témoin de l’aboutissement des premiers travaux de la démarche nationale sur le secours et soins d’urgence aux personnes (SSUAP), au travers notamment d’une nouvelle loi de sécurité civile dite “loi Matras”, qui comporte de nombreuses avancées pour les services d’incendie et de secours (SIS) : clarification de leurs missions, réalisation d’actes de soins d’urgence et d’actes de télémédecine. […] 2023 sera l’année de la consolidation […] avec l’objectif constant de toujours garantir aux citoyens une réponse de proximité et de qualité aux situations d’urgence préhospitalières. »
Heureusement, en région parisienne et dans les capitales régionales il y a SOS Médecins. Mais pas au fond de la Creuse. Et pas question de les appeler pour une « urgence vitale » ; plutôt pour une « urgence ressentie ». Si l’on a mal au ventre depuis des heures avec une douleur encore supportable, ou bien si l’on tousse comme un beau diable, on appelle. Si l’on vient de se casser une jambe, où que ce soit, un appel au 18 (voire au 15) est à l’évidence la bonne solution. Direction un établissement hospitalier !
Voilà, j’aurais tout dit sur le sujet si l’envie ne me prenait de proposer aux lecteurs éventuels un « coup d’œil » sur les secours d’urgence ailleurs que dans notre douce France, que l’on quitte parfois. Donc rendez-vous avec les paramedics dans le prochain texte.