Crédit photo : P. Forget/Sagaphoto

« Désamorcer la mort, relancer la vie »

Marcel Arnaud, professeur de neurochirurgie (1896-1977)

Qu’est-ce que la vie ?

par Bernard Laygues

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Ion Fet — Unsplash

Voi­là une ques­tion obli­gée pour qui­conque en vient à s’interroger sur le réel. La vie : voi­là le domaine de recherche, entre autres, des bio­lo­gistes, et bien sûr l’interrogation des phi­lo­sophes. Il y a plus de deux cents ans, Xavier Bichat 1, célèbre méde­cin et ana­to­mo-phy­sio­lo­giste, répon­dait, lui, tout crû­ment : « La vie est l’ensemble des fonc­tions qui résistent à la mort. »  Une résis­tance qui a bien besoin d’un sérieux coup de pouce quand, coup de ton­nerre dans un ciel serein, c’est une détresse bru­tale, mas­sive (acci­dent car­diaque, crash rou­tier, etc.) — ou « seule­ment » un into­lé­rable mélange de dou­leur et d’effroi — qui s’en vient bous­cu­ler le cours d’une existence.

En France, selon la légis­la­tion encore en vigueur — sauf délé­ga­tion limi­tée (nor­mal !) à un(e) infirmier(ère) protocolisé(e) —, seul un méde­cin muni d’un équi­pe­ment adé­quat, donc un(e) urgen­tiste, y pour­ra quelque chose. Oui, mais si celui-ci ne peut inter­ve­nir en un temps utile, ce qui se pro­duit sur­tout dans la France pro­fonde, tant un Smur (struc­ture mobile d’urgence et de réani­ma­tion) peut venir de loin ? Alors, fau­dra-t-il s’en remettre, avant l’arrivée à l’hôpital de sec­teur, aux tech­niques secou­ristes, certes effi­caces en atten­dant mieux, qu’appliqueront le plus sou­vent les omni­pré­sents sapeurs-pom­piers, seul corps (volon­ta­riat aidant) à qua­driller effi­ca­ce­ment le ter­ri­toire natio­nal ? Réponse : évi­dem­ment oui !

Tou­jours, au tra­vers des siècles, cette vieille bataille, qui per­dure, qui redonde, qui s’adapte, entre l’urgence vitale et ses témoins, puis avec les pre­miers secours. Cita­tion emprun­tée à Beau­coup de bruit pour rien, une comé­die du grand William Sha­kes­peare : « Cha­cun peut maî­tri­ser une dou­leur, excep­té celui qui souffre. » Une évi­dence ! Autre cita­tion, due celle-ci à Charles Bau­de­laire : « Sois sage, ô ma dou­leur, et tiens-toi plus tran­quille ! » Dou­leur psy­chique et souf­france phy­sique peuvent frap­per sans pré­ve­nir et tour­men­ter jus­qu’aux plus grands… méde­cins compris.

Les chiffres sont là, offi­ciels, incon­tour­nables : c’est aujourd’hui, bon an mal an, 80 % de leur acti­vi­té que les sapeurs-pom­piers consacrent au secours à per­sonnes, hors de tout contexte de lutte contre l’incendie — leur spé­ci­fi­ci­té de base pour­tant depuis tou­jours — ou même de sau­ve­tage en milieu plus ou moins périlleux. Leur mis­sion la plus cou­rante, alors ? Eh bien, se lan­cer au secours de per­sonnes qui vont mal dans leur corps (de la bles­sure inquié­tante jusqu’au redou­table poly­trau­ma­tisme de la route, à la noyade, au malaise car­diaque, etc.). Mal par­fois aus­si dans leur men­tal. En jar­gon de métier, on parle de « vic­times ». D’où l’appellation « véhi­cule de secours et d’assistance aux vic­times » (VSAV). Entre les années 1970 et 2000, c’était « véhi­cule de secours aux asphyxiés et bles­sés » (VSAB). Avant encore, c’était n’importe quoi, en rem­pla­ce­ment des ambu­lances muni­ci­pales ou pri­vées, voire à Paris de Police secours. En tout cas, mot inter­dit sur le papier par l’administration : « ambu­lance ». Bien que pour tout le monde ce soit « l’ambulance des pom­piers » : c’est qu’il faut bien mettre des mots connus et banals sur les choses !

  1. Aus­si­tôt après sa mort, Cor­vi­sart écri­vait au Pre­mier consul : « [Bichat] est res­té sur un champ de bataille, ce qui veut du cou­rage et qui compte plus d’une vic­time. Per­sonne en si peu de temps n’a fait tant de choses, et si bien. » Une sta­tue de Bichat, œuvre du sculp­teur David d’An­gers, se dresse depuis 1859 dans la cour d’hon­neur de l’an­cienne facul­té de méde­cine de Paris. L’im­pré­voyance et la pau­vre­té de ce grand nom d’une méde­cine encore bal­bu­tiante se mani­fes­te­ront après sa mort : il n’y avait pas chez lui de quoi payer ses obsèques. Certes, ses idées sont lar­ge­ment péri­mées de nos jours, mais « elles vivent encore, plus ou moins modi­fiées, comme tout ce qui vit, mais recon­nais­sables tou­jours ». Gus­tave Flau­bert ne disait-il pas que « la grande école médi­cale fran­çaise est sor­tie du tablier de Bichat » ?[]
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Une réponse

  1. Remar­quable, tech­nique, vrai tra­vail de pro, qui sait vrai­ment de quoi il retourne.
    Le pas­sage sur l’in­dif­fé­rence de la foule est, hélas, effrayant, mais tel­le­ment réel !
    Bra­vo, bravo !
    Votre blog peut, de par son conte­nu, sans nul doute des­siller bien des gens, qui ne
    demandent, peut-être, que de l’être..

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