Voilà une question obligée pour quiconque en vient à s’interroger sur le réel. La vie : voilà le domaine de recherche, entre autres, des biologistes, et bien sûr l’interrogation des philosophes. Il y a plus de deux cents ans, Xavier Bichat 1, célèbre médecin et anatomo-physiologiste, répondait, lui, tout crûment : « La vie est l’ensemble des fonctions qui résistent à la mort. » Une résistance qui a bien besoin d’un sérieux coup de pouce quand, coup de tonnerre dans un ciel serein, c’est une détresse brutale, massive (accident cardiaque, crash routier, etc.) — ou « seulement » un intolérable mélange de douleur et d’effroi — qui s’en vient bousculer le cours d’une existence.
En France, selon la législation encore en vigueur — sauf délégation limitée (normal !) à un(e) infirmier(ère) protocolisé(e) —, seul un médecin muni d’un équipement adéquat, donc un(e) urgentiste, y pourra quelque chose. Oui, mais si celui-ci ne peut intervenir en un temps utile, ce qui se produit surtout dans la France profonde, tant un Smur (structure mobile d’urgence et de réanimation) peut venir de loin ? Alors, faudra-t-il s’en remettre, avant l’arrivée à l’hôpital de secteur, aux techniques secouristes, certes efficaces en attendant mieux, qu’appliqueront le plus souvent les omniprésents sapeurs-pompiers, seul corps (volontariat aidant) à quadriller efficacement le territoire national ? Réponse : évidemment oui !
Toujours, au travers des siècles, cette vieille bataille, qui perdure, qui redonde, qui s’adapte, entre l’urgence vitale et ses témoins, puis avec les premiers secours. Citation empruntée à Beaucoup de bruit pour rien, une comédie du grand William Shakespeare : « Chacun peut maîtriser une douleur, excepté celui qui souffre. » Une évidence ! Autre citation, due celle-ci à Charles Baudelaire : « Sois sage, ô ma douleur, et tiens-toi plus tranquille ! » Douleur psychique et souffrance physique peuvent frapper sans prévenir et tourmenter jusqu’aux plus grands… médecins compris.
Les chiffres sont là, officiels, incontournables : c’est aujourd’hui, bon an mal an, 80 % de leur activité que les sapeurs-pompiers consacrent au secours à personnes, hors de tout contexte de lutte contre l’incendie — leur spécificité de base pourtant depuis toujours — ou même de sauvetage en milieu plus ou moins périlleux. Leur mission la plus courante, alors ? Eh bien, se lancer au secours de personnes qui vont mal dans leur corps (de la blessure inquiétante jusqu’au redoutable polytraumatisme de la route, à la noyade, au malaise cardiaque, etc.). Mal parfois aussi dans leur mental. En jargon de métier, on parle de « victimes ». D’où l’appellation « véhicule de secours et d’assistance aux victimes » (VSAV). Entre les années 1970 et 2000, c’était « véhicule de secours aux asphyxiés et blessés » (VSAB). Avant encore, c’était n’importe quoi, en remplacement des ambulances municipales ou privées, voire à Paris de Police secours. En tout cas, mot interdit sur le papier par l’administration : « ambulance ». Bien que pour tout le monde ce soit « l’ambulance des pompiers » : c’est qu’il faut bien mettre des mots connus et banals sur les choses !
- Aussitôt après sa mort, Corvisart écrivait au Premier consul : « [Bichat] est resté sur un champ de bataille, ce qui veut du courage et qui compte plus d’une victime. Personne en si peu de temps n’a fait tant de choses, et si bien. » Une statue de Bichat, œuvre du sculpteur David d’Angers, se dresse depuis 1859 dans la cour d’honneur de l’ancienne faculté de médecine de Paris. L’imprévoyance et la pauvreté de ce grand nom d’une médecine encore balbutiante se manifesteront après sa mort : il n’y avait pas chez lui de quoi payer ses obsèques. Certes, ses idées sont largement périmées de nos jours, mais « elles vivent encore, plus ou moins modifiées, comme tout ce qui vit, mais reconnaissables toujours ». Gustave Flaubert ne disait-il pas que « la grande école médicale française est sortie du tablier de Bichat » ?[↩]
Une réponse
Remarquable, technique, vrai travail de pro, qui sait vraiment de quoi il retourne.
Le passage sur l’indifférence de la foule est, hélas, effrayant, mais tellement réel !
Bravo, bravo !
Votre blog peut, de par son contenu, sans nul doute dessiller bien des gens, qui ne
demandent, peut-être, que de l’être..