Plaintes et indignations : plus de 10 millions de Français vivent réellement dans un désert médical. Une situation qui renvoie forcément à des responsabilités d’hier. Quant à ce qui est vécu aujourd’hui, pas le moindre coupable n’est désigné, ni ne se désigne. Normal, puisque c’est la faute à personne. C’est-à-dire à tout le monde ! D’autant que cette situation s’avérera difficilement maîtrisable tant que la liberté d’installation des jeunes médecins demeurera intangible. En somme, et cela s’avère facile à comprendre, mieux vaut les Alpes-Maritimes que la Creuse ! Oui, mais les besoins nationaux ?… Et puis, ces longues études de médecine, qui les finance, sinon chaque citoyen d’où qu’il soit ?
Une loi bien partagée
Retour à 1971. Cette année-là est votée la loi qui durant cinquante ans va imposer le numerus clausus (locution latine pour « nombre fermé »). Voici fixé le nombre maximum d’étudiants de 1re année de médecine admis (nationalement) en 2e. année. Même chose dans la foulée en odontologie (chirurgiens-dentistes, stomatologues), pharmacie, kinésithérapie, et aussi maïeutique (sages-femmes). L’écrémage réduit donc d’emblée le nombre de médecins, alors que l’heure de la retraite sonne pour beaucoup. Les uns partent, mais les autres n’arrivent pas. La France, considérée jusqu’en 1990 comme présentant le meilleur système de santé au monde, entame sa plongée vers le bas de l’évaluation internationale en matière d’accès aux soins, et donc d’efficacité dudit système.
En fait, tout ce qui compte dans la nation comme pouvoirs de décision s’y était mis pour produire ce « mauvais coup » : les praticiens libéraux eux-mêmes (syndicats professionnels en chœur), qui redoutaient la « concurrence » et de moindres revenus, tout en prétendant toujours à leur libre répartition sur le territoire ; l’Ordre des médecins, qui fermait les yeux, comme il les a souvent fermés ; les présidents d’université et les directeurs d’hôpitaux, pas mécontents d’alléger l’afflux d’étudiants inscrits dans la filière à partir du nombre grandissant de bacheliers après 1968 ; et puis les parlementaires, désireux de voter une loi « d’ordre », appliquée discrètement à l’encontre de la loi Faure, laquelle garantissait l’accès libre à l’Université pour tous les titulaires du bac ; enfin, la masse des citoyens, qui eux y voyaient goutte. D’autant que des sociologues inspirés disaient : « Moins d’offre de soins égale moins de recours aux médecins. » Hum !
Un espoir pour demain ?
Nul doute que là l’Histoire retiendra le pas de côté du Législatif comme de l’Exécutif, au détriment d’abord des « vieux » — un nombre en heureuse (?) augmentation — et des populations précaires. D’où la remise « à plus tard » de soins pourtant indispensables. Donc consultations et surveillance soudain accrues, quand ce n’est pas interventions en urgence et hospitalisations obligées. Les sapeurs-pompiers opérationnels ne l’ignorent pas.
Espoir auquel s’accrocher : le nouveau numerus apertus (pour « nombre ouvert »). Mis en place en 2021, il fixe le nombre minimum (!) d’étudiants admis en 2e année dans chaque université, en fonction de ses capacités d’accueil. De quoi, nous dit-on, « coller aux réalités de terrain ». Pourtant, déjà nombre de fins observateurs se prennent à douter. Attendons : il faut 9 ans pour former un généraliste, entre 10 et 12 pour les spécialistes. Ce qui, en tout cas, va laisser à nombre de nos mémoires le temps de s’effacer…