Crédit photo : P. Forget/Sagaphoto

« Désamorcer la mort, relancer la vie »

Marcel Arnaud, professeur de neurochirurgie (1896-1977)

Notre force de secours aux deux visages

par Bernard Laygues

silhouette of man standing on grass field during night time

Même s’il faut se méfier des phrases toutes faites, disons-le : sapeur-pom­pier, c’est un sacré métier. Osons plus : un métier sacré ! Car, comme le chante Alain Sou­chon, « la vie ne vaut rien » (si fra­gile, si mal­trai­tée !), mais « rien ne vaut la vie » (si sacra­li­sée !). Or, les pom­piers, n’ont qu’une rai­son d’être : main­te­nir la Vie — humaine, ani­male, végé­tale — sous les mau­vais coups du sort ou des dérives de l’Homme… Et leur devise, lar­ge­ment par­ta­gée, bien que née à la Bri­gade mili­taire de Paris, ne dit rien de moins que « Sau­ver ou périr ». Expres­sion d’un idéal dont il convient évi­dem­ment de majo­rer le pre­mier verbe en mino­rant, autant qu’il se peut, le second. 

Tout com­mence dans la nuit des temps, face au feu dévo­ra­teur. D’où cette appel­la­tion, encore répan­due, de « sol­dats du feu », mais qui aujourd’hui cède le pas à « sol­dats de la Vie » : un terme plus en accord, sur­tout en France1, avec la varié­té des inter­ven­tions dévo­lues aux ser­vices d’incendie et de secours, l’incendie n’y figu­rant sta­tis­ti­que­ment que pour un petit 11 %. Alors, si les mots ont un sens, dif­fé­ren­cions à cette occa­sion, dans nos rangs, métier et pro­fes­sion, même si les deux peuvent ne faire qu’un « sur le ter­rain ». D’abord, pro­fes­sion2, comme cor­po­ra­tion, rime avec ins­ti­tu­tion3. Et pro­fes­sion­nel, pré­ci­sé­ment avec ins­ti­tu­tion­nel (rimes riches). Pour autant, nous ne sommes là que dans la nomen­cla­ture sociale. Le mot métier4, lui, induit créer, fabri­quer, contri­buer… Et c’est avec ces verbes que l’on touche au concret des choses, donc à une pra­tique acquise ; sans  sta­tut défi­ni  à l’origine.

Métier partagé

En fait, dans les ser­vices d’incendie et de secours des pays démo­cra­tiques et déve­lop­pés, une part des per­son­nels exerce le métier de sau­ver dans le cadre d’une pro­fes­sion struc­tu­rée. Les autres s’y adonnent en une indis­pen­sable com­plé­men­ta­ri­té, tant civique que sociale, au nom d’un enga­ge­ment citoyen de plus en plus sou­te­nu par un cadre juri­dique, puis par une indem­ni­sa­tion (modeste), obte­nus grâce à la téna­ci­té de leurs asso­cia­tions, telle chez nous la Fédé­ra­tion natio­nale des sapeurs-pom­piers de France. 

Dans le lan­gage com­mun, d’un bon « pro » on dit qu’« il a du métier » ; pas « de la pro­fes­sion ». On connaît, dans les col­lèges, la Jour­née des métiers ; pas « la Jour­née des pro­fes­sions ». André Cayatte n’avait pas titré son célèbre film sur le drame d’un ins­ti­tu­teur « Les Risques de la pro­fes­sion », mais bien Les Risques du métier. Et, selon le grand Pas­cal, « la chose la plus impor­tante à toute la vie est le choix du métier ».  

Notre volon­ta­riat, lui, est donc fait d’hommes et de femmes qui ont deux métiers (deux vies !) : celui qui les fait vivre vrai­ment et celui que leurs col­lègues pro­fes­sion­nels leur par­tagent par néces­si­té d’organisation et de contraintes en matière de finances publiques — puis de civisme ! Mais, pour l’état civil, a prio­ri une seule pro­fes­sion : la leur. Soit un enri­chis­se­ment (social et socié­tal) pour les Sdis. D’autant plus qu’au plan natio­nal l’inclusion des volon­taires (en  « pre­miers départs » ou en ren­fort) figure dans deux gros tiers des inter­ven­tions de toute nature. Mais à la qua­si-exclu­sion de spé­cia­li­tés confiées au noyau dur et réfé­rent des « pros ». Là où logique et logis­tique se sont conju­guées pour satis­faire aux exi­gences de notre moder­ni­té. Exemple : les Grimp (groupes d’intervention en milieu périlleux). Donc dif­fé­rences et unité !

Pré­ci­sion chif­frée : contrai­re­ment à ce que bien des gens pensent, sur­tout dans les grandes villes, les pom­piers en France ne sont pas a prio­ri des mili­taires : 13 000 seule­ment, pour Paris et sa proche ban­lieue (uni­té du Génie), puis Mar­seille (Marine natio­nale). Non plus des « pros », fonc­tion­naires ter­ri­to­riaux des dépar­te­ments : 43 000. Mais sur­tout des volon­taires : quelque 198 000 ; ceux-ci enga­gés en marge de leur propre pro­fes­sion. Ajoutons‑y les per­son­nels (1 500 mili­taires) des UIISC (Uni­tés d’instruction et d’intervention de la sécu­ri­té civile).

  1. Le secours pri­maire aux bles­sés ou aux per­sonnes atteintes de malaises aigus, prises en charge à bord de véhi­cules de secours et d’assistance aux vic­times, consti­tue la grosse majo­ri­té des inter­ven­tions de pom­piers par­tout en France. Ce qui n’est pas sys­té­ma­tique dans bien des pays.[]
  2. À l’origine, c’est une « pro­fes­sion de foi » en lan­gages admi­nis­tra­tif et juri­dique. Puis une « occu­pa­tion déter­mi­née dont on peut tirer ses moyens d’existence, qu’elle soit un métier, une fonc­tion ou un état [Grand Robert].[]
  3. « Se dit de la chose ins­ti­tuée (per­sonne morale, grou­pe­ment, fon­da­tion, régime légal, social) » [Grand Robert]. Quant à cor­po­ra­tion, c’est une com­mu­nau­té de per­sonnes exer­çant la même pro­fes­sion.[]
  4. Du latin minis­te­rium (office, ser­vice), croi­sé avec mys­te­rium (mys­tère), Paul Valé­ry a écrit : « Le lan­gage a uti­li­sé ce mot [métier] dans des locu­tions dont l’une en relève le sens : métier de roi ; l’autre le réduit à dési­gner une machine : métier à tis­ser. » Il a long­temps été usi­té au sens de besoin, d’uti­li­té.[]
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