Même s’il faut se méfier des phrases toutes faites, disons-le : sapeur-pompier, c’est un sacré métier. Osons plus : un métier sacré ! Car, comme le chante Alain Souchon, « la vie ne vaut rien » (si fragile, si maltraitée !), mais « rien ne vaut la vie » (si sacralisée !). Or, les pompiers, n’ont qu’une raison d’être : maintenir la Vie — humaine, animale, végétale — sous les mauvais coups du sort ou des dérives de l’Homme… Et leur devise, largement partagée, bien que née à la Brigade militaire de Paris, ne dit rien de moins que « Sauver ou périr ». Expression d’un idéal dont il convient évidemment de majorer le premier verbe en minorant, autant qu’il se peut, le second.
Tout commence dans la nuit des temps, face au feu dévorateur. D’où cette appellation, encore répandue, de « soldats du feu », mais qui aujourd’hui cède le pas à « soldats de la Vie » : un terme plus en accord, surtout en France1, avec la variété des interventions dévolues aux services d’incendie et de secours, l’incendie n’y figurant statistiquement que pour un petit 11 %. Alors, si les mots ont un sens, différencions à cette occasion, dans nos rangs, métier et profession, même si les deux peuvent ne faire qu’un « sur le terrain ». D’abord, profession2, comme corporation, rime avec institution3. Et professionnel, précisément avec institutionnel (rimes riches). Pour autant, nous ne sommes là que dans la nomenclature sociale. Le mot métier4, lui, induit créer, fabriquer, contribuer… Et c’est avec ces verbes que l’on touche au concret des choses, donc à une pratique acquise ; sans statut défini à l’origine.
Métier partagé
En fait, dans les services d’incendie et de secours des pays démocratiques et développés, une part des personnels exerce le métier de sauver dans le cadre d’une profession structurée. Les autres s’y adonnent en une indispensable complémentarité, tant civique que sociale, au nom d’un engagement citoyen de plus en plus soutenu par un cadre juridique, puis par une indemnisation (modeste), obtenus grâce à la ténacité de leurs associations, telle chez nous la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France.
Dans le langage commun, d’un bon « pro » on dit qu’« il a du métier » ; pas « de la profession ». On connaît, dans les collèges, la Journée des métiers ; pas « la Journée des professions ». André Cayatte n’avait pas titré son célèbre film sur le drame d’un instituteur « Les Risques de la profession », mais bien Les Risques du métier. Et, selon le grand Pascal, « la chose la plus importante à toute la vie est le choix du métier ».
Notre volontariat, lui, est donc fait d’hommes et de femmes qui ont deux métiers (deux vies !) : celui qui les fait vivre vraiment et celui que leurs collègues professionnels leur partagent par nécessité d’organisation et de contraintes en matière de finances publiques — puis de civisme ! Mais, pour l’état civil, a priori une seule profession : la leur. Soit un enrichissement (social et sociétal) pour les Sdis. D’autant plus qu’au plan national l’inclusion des volontaires (en « premiers départs » ou en renfort) figure dans deux gros tiers des interventions de toute nature. Mais à la quasi-exclusion de spécialités confiées au noyau dur et référent des « pros ». Là où logique et logistique se sont conjuguées pour satisfaire aux exigences de notre modernité. Exemple : les Grimp (groupes d’intervention en milieu périlleux). Donc différences et unité !
Précision chiffrée : contrairement à ce que bien des gens pensent, surtout dans les grandes villes, les pompiers en France ne sont pas a priori des militaires : 13 000 seulement, pour Paris et sa proche banlieue (unité du Génie), puis Marseille (Marine nationale). Non plus des « pros », fonctionnaires territoriaux des départements : 43 000. Mais surtout des volontaires : quelque 198 000 ; ceux-ci engagés en marge de leur propre profession. Ajoutons‑y les personnels (1 500 militaires) des UIISC (Unités d’instruction et d’intervention de la sécurité civile).
- Le secours primaire aux blessés ou aux personnes atteintes de malaises aigus, prises en charge à bord de véhicules de secours et d’assistance aux victimes, constitue la grosse majorité des interventions de pompiers partout en France. Ce qui n’est pas systématique dans bien des pays.[↩]
- À l’origine, c’est une « profession de foi » en langages administratif et juridique. Puis une « occupation déterminée dont on peut tirer ses moyens d’existence, qu’elle soit un métier, une fonction ou un état [Grand Robert].[↩]
- « Se dit de la chose instituée (personne morale, groupement, fondation, régime légal, social) » [Grand Robert]. Quant à corporation, c’est une communauté de personnes exerçant la même profession.[↩]
- Du latin ministerium (office, service), croisé avec mysterium (mystère), Paul Valéry a écrit : « Le langage a utilisé ce mot [métier] dans des locutions dont l’une en relève le sens : métier de roi ; l’autre le réduit à désigner une machine : métier à tisser. » Il a longtemps été usité au sens de besoin, d’utilité.[↩]